Le chat, la mouette, l’avion

« Là où l’oiseau n’a besoin que de ses ailes, ses muscles et son intelligence du vent, il faudrait à un homme un avion pour pouvoir jouir de la même perspective. Une machinerie de fer et de kérosène, dans lequel monterait cent onze ans plus tard, un professeur d’histoire grand et triste, pour qui un ami aurait loué deux heures de vol afin de lui montrer de plus près l’objet de sa fascination.

Vu d’en haut, il apparaît que la ville est un chapelet de roches recouvertes par l’eau, un réseau de tombolos, d’isthmes, qu’on a jointoyé de ponts et de bassins, pour créer une toile d’araignée de fer et ciment. Opiniâtre, astucieuse, effroyable de fragilité. Il devient patent, de la même manière, que l’île qui crève la surface de l’eau où moutonne paisiblement l’écume a été sa cousine terrestre, qu’il s’en faudrait de peu pour qu’elle tende les bras à la rive qui lui fait face. Mais les cicatrices de la guerre sont partout, à commencer par cette platitude désolante de la roche, amputée de ses aspérités par les déflagrations. Dans ce paysage trop tôt usé, des chapelets de béton, de vieilles maçonneries, du ciment coulé selon un tracé hexagonal ont laissé leur dessin blanchâtre au sol, comme si un enfant s’était amusé à y décalquer des formes géométriques.

Du ciel, l’île paraît minuscule et quiète. On se demande comme un si petit rocher a pu héberger tant de douleur, de fureur.

Et pourtant.  »