Catherine

ton chapeau russe à rayures, les cigarettes toutes fines que tu ne fumais qu’à moitié, tes blocs-notes rhodia orange pour rédiger la présentation des invités, ton balcon, tes plantes cultivées avec méthode, ton amour des chats, celui qu’on a fait jouer un week-end entier toutes les deux avec un bouchon de liège et toi disant : chat, je n’ai pas été envoyée sur terre juste pour te divertir, les centaines, les milliers d’heures que tu as passées dans les archives à dépouiller des manuscrits, tes découvertes, ton heure quotidienne d’accordéon, ta messagerie eudora, ta bibliothèque, les petites souris qui venaient habiter tes placards boulevard de l’hôpital, le parquet à chevrons venu de la reconstruction de la salpêtrière, le livre de recettes de ta grand-mère (« pour deux sous de beurre »), notre shopping annuel chez eun wha avec ton bon de fidélité, le manteau irlandais somptueux que tu m’as convaincue d’acheter à l’aéroport de dublin, une guinness et la grippe avec sylvie et francesca dans un restaurant à galway, ton horreur viscérale du sexisme, ta sœur sophie, le marché que tu aimais faire, le gâteau de noël aux marrons acheté sur un étal bien précis que tu portais à ton oncle au nouvel an, la cause des femmes, ton goût des autres, violette leduc et christiane rochefort, ta chambre, que tu me cédais pendant mes passages à paris, tes cours de russe à l’inalco, les petits articles découpés pour moi, les tasses de thé matinales dans la cuisine, pendant que tu dormais encore après une longue nuit de travail, le lumignon que tu m’avais rapporté de l’enterrement de gilles, lui que tu visitas jusqu’au bout, me disant quelques jours auparavant maintenant les médecins nous demandent de le laisser mourir, ce restaurant du samedi qui fut de toutes les nationalités avant de devenir italien mais que n’aurait-on pas accepté de manger pour être tous ensemble à l’issue du séminaire, la pochette que tu portais toujours à ta ceinture, les visas pour moscou, un soir au téléphone où tu m’as simplement dit que tu avais une peine de cœur, celui où nous parlions de tout et de rien et là tu m’as raconté ce garçon libanais dont tu avais gardé un si bon souvenir, qui fut ensuite tué pendant la guerre à beyrouth, tes très nombreux frères et sœurs, limoges, tes batailles, les frontières traversées, tes souvenirs du temps où tu vivais dans un appartement où la baignoire trônait en plein milieu, ceux d’un rapt amoureux, le journal de micheline bood que tu avais fait revenir de rome, la photo des girafes dans un parc d’afrique du sud, les bouclages d’articles et de livres, toujours dans une panique légère, ta tristesse de voir que les cafés de la place d’italie perdaient leur chaude ambiance bistrotière, catherine II de russie à maynooth, nos fous rires en préparant un bouquin qui nous donna pourtant bien du fil à retordre, ton tabouret ergonomique, ta méticulosité typographique, ton petit bureau tout là-haut là-haut, tes messages envoyés entre une heure et deux heures du matin, l’équipe, tes projets, le dîner avec elisabeth dans le restaurant aux cent vingt décibels, le pique-nique de juin, les courses chez picard, le couvre-lit dont un jour j’ai reconnu les motifs dans un film à la télé, l’appartement encore vide qui sentait la peinture, les bruits des enfants dans la cour de recréation, les soap russes tordants tant ils étaient stupides, un dîner un soir à la butte-aux-cailles et un autre dans un restaurant vietnamien aux saveurs superbes, la beauté nocturne de la place d’italie, lumières des voitures tournant en rond, la photo de déli-cat envoyée par mail depuis cagnes, ta peur qu’elle tombe du balcon si tu l’adoptais, les chocolats russes, notre dernière réunion à cinq à censier, l’arbre à lettres, ta cafetière toujours au chaud, le lait dans le déca, une noisette, ta façon de dire le prénom de la personne qui partageait ta vie, ton sourire, ta douceur, ta bienveillance, notre chagrin, catherine

In memoriam Catherine Viollet, 19 septembre 2014