Harem [11]

 

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C’est un dimanche après-midi, un dimanche de presse et de préoccupation que l’on adoucit comme on peut en écoutant une radio musicale. Et de manière assez impromptue, puisque c’est du répertoire pianistique classique qu’il s’agit, l’on entend monter la voix rocailleuse et étonnante de Brigitte Fontaine, étrange ekphrasis, qui raconte une histoire de corps étendus, de plaisirs prisonniers et de soumission. On se laisse hypnotiser par ce dire, cet épellement méthodique du harem en alexandrins noirs et baroques, qui énoncent d’un seul tenant la décadence et la délicatesse, cependant que le piano scande la sombre mélopée de sa tristesse exacte. Le phrasé d’un grand interprète (Jean-Efflam Bavouzet), répondant aux contretemps imperceptibles de la chanteuse, donne à la composition son rythme un rien déséquilibré, insuffle sa pulsation lente à la perfection glacée des images.


De quelle nature est cette entreprise étrange : lexicale, érotique, musicale, picturale ? Quel tableau sourd se déploie dans une voix râpeuse comme la pierre, quel éclat de grâce dans la noirceur du monde, quel paradoxe nous donne-t-il à toucher de l’aile ?


Harem est une grande chanson. Elle dépeint la solitude mélancolique du plaisir mercenaire, mais en démet la laideur, au profit de son exposé proprement romanesque. Elle est l’une de ces preuves magistrales, inattendues qui établissent que l’écriture a tous les droits, tous les pouvoirs. Par exemple celui de donner un visage à la chair, quand elle s’octroie le privilège ambigu de se faire verbe.



© Hélène Gestern / Editions Arléa - 2011