L’homme-clarinette (Yom) [15]

 

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À la radio, un soir, Yom. Tout stopper net, et écouter.


Récidiver le lendemain, avec un CD.


Tomber amoureuse en l’espace d’une heure, en sachant qu’il n’y aura pas de retour arrière. Il est extrêmement rare que l’on sorte à ce point secoué d’une première écoute, certain que l’on vient d’aborder un nouveau continent, éblouie de promesse. Le choc frontal avec un musicien qui ne se contente pas de proposer, mais purement et simplement réinvente le son.


Plus un jeu. Une façon complète de fondre son corps et son souffle à son instrument, et ensuite de plonger cette conjonction dans un savoir total de la musique, sans une once d’hésitation. La technique est transcendée, les modèles connus sont balayés et pourtant la mélodie (qu’on pourrait dit fil, chant, thrène, miracle ou ombilic) reste évidence, presque douloureuse d’évidence. Elle nous appelle sans fin et le corps prisonnier, drogué, en apesanteur, suspendu à cette incantation, n’a d’autre choix que de la suivre, sauf à s’arracher au plus violent et au plus addictif des délices.


Certains musiciens sont les émissaires du miracle. Ils repoussent le temps, l’espace, la lumière, les reconfigurent comme il leur plaît d’une simple respiration, d’un doigt sur une touche d’ivoire, du déplacement infime d’un archet. Ce temps qui nous dévore, ils le distendent, le contractent, lui impriment le spasme ou la quiétude.  D’une certaine façon, malgré nos yeux ouverts, nous naissons de leurs mains.


Guillaume Humery, dit Yom, homme-clarinette, sorcier de la vibration klezmer, au chant pulsatile et généreux, au son véhément, moqueur, irrésistible. Pourvoyeur de mélodies et derviche tourneur, dépositaire d’un savoir archaïque du monde, qu’il inonde de gaieté neuve à chaque note.

© Hélène Gestern / Editions Arléa - 2012