La symphonie pastorale [19]

 

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Découvert par hasard sur internet cette chanson, interprétée par deux artistes pour lesquels mon admiration est presque sans limites : à savoir Pierre Lapointe, fils spirituel de Jean Guidoni, génial trublion aux mots de poésie carnassière, d’humour énigmatique et de lyrisme ordurier, et Brigitte Fontaine qui ne peut qu’à elle même se comparer.


J’ai une immense tendresse pour cette femme, son visage ravagé et son vieux corps maigre et voûté qui assume ses fractures ; pour son pas hésitant, son verbe somptueux, son intelligence face à ceux qui tentent de la manipuler ; pour sa droiture, sa violence, sa grossièreté face aux exécrables, sa façon d’assumer ce qu’elle est, son humanité et son talent. J’ai pu découvrir en plus, au hasard d’une émission musicale, l’étendue de sa culture et l’exigence de ses choix en matière de répertoire, la vraie générosité de qui aime la musique sans compter.


Tous deux chantent. Elle en robe rouge des grands soirs, les clavicules saillantes, le corps d’une rigoureuse immobilité ; lui avec un drôle de blouson orange et des baskets rutilantes, penché vers elle, jamais ne la touchant. Il est grand, jeune, un peu intimidé ; elle est minuscule, fragile, extrêmement concentrée. Ils sont magnifiques. La voix cassée   et un peu fausse se marie avec à celle de Pierre Lapointe, tous deux trouvant leur manière de puissance ; chacun écoutant l’autre, l’attendant, l’accompagnant. Chacun immergé dans l’instant.


J’ignore ce qui fait la profondeur de cette chanson, collection de titres d’oeuvres littéraires. Peut-être ce je suis du titre, façon de dire qu’on ne fait qu’un avec les livres aimés, de revendiquer son identité dans les mots, d’en assumer la solennité. Peut-être aussi le feuilletage de la mélodie et des arrangements, car rien n’est laissé au hasard dans une construction musicale aussi pensée. Peut-être la rencontre entre cet homme jeune, son dynamisme éclatant, son plaisir de chanter, et cette femme au corps décharné, libre, grave, excessive, qui trouvent la langue d’un tourment et d’une passion communes. Ce point où se confondent laideur et beauté, où l’artefact qui préside à toute mise en scène n’est qu’une autre manière d’entrer dans l’intégrité de soi.


Ce qui fait enfin battre le coeur de cette interprétation, je crois, est que deux êtres, au travers d’elle, s’y disent combien ils s’aiment.




© Hélène Gestern / Editions Arléa - 2012