Un bol de soupe [27]

 

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Un mercredi d'août. je rends visite à S. qui est hospitalisé. Le pavillon des maladies infectieuses est un drôle d'endroit, très à l'écart, presque installé dans la forêt, à dix minutes de marche du bâtiment principal. C'est un mois d'août triste, le temps est incertain. J'ai senti beaucoup d'inquiétude dans la voix de S. au téléphone. Un peu plus tard, alors que nous prenons l'air, nous verrons tous les deux une scène poignante, un homme en haut des marches de l'escalier qui ouvre les bras à son compagnon en train d'arriver. Tous deux restent enlacés longtemps, de toute la puissance de leur amour, dans le silence accablant des mauvaises nouvelles.


Mais quand je suis arrivée dans la chambre, c'était l'heure du repas, tout du moins de l'ingestion de ces choses conditionnées sous plastique que l'on appelle nourriture dans les hôpitaux. Les aide-soignantes font le service ; au menu, seule chose qui paraisse comestible, de la soupe. La dame qui entre avec le plateau de S. me salue et me dit sans que j'aie eu le temps de manifester quoi que ce soit : "Vous en voulez un bol ? Elle n'est pas mauvaise". Et elle m'offre, dans un gobelet en plastique, de ladite soupe. Qui effectivement n'est pas mauvaise.


La proposition n'était en rien autoritaire. Mais elle était ferme.

C'est ainsi qu'un geste, un tout petit geste, transforme la pesanteur qui guette toute visite d'hôpital en repas partagé.

Un tout petit geste.

Lourd de beaucoup d’intelligence.




© Hélène Gestern / Editions Arléa - octobre 2014


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