Histoire d’un secret

 

Regarder


    Mariana Otero avait quatre ans et sa sœur Isabel six lorsque leur mère, Clotilde Vautier, est morte. Mais elles ont été laissées dans l’ignorance de cet événement pendant deux ans, jusqu’à ce qu’Isabel, alertée par les rumeurs qui circulaient à l’école, le découvre en questionnant sa grand-mère… C’est encore bien plus tard, une fois devenues adultes, que les deux sœurs ont appris la vérité sur la cause du décès : “ l’appendicite ” était en réalité un avortement clandestin qui avait mal tourné.

    Mariana Otero, en interrogeant les siens, retrace l’histoire de ce secret et des raisons qui ont poussé les membres de sa famille à conserver un silence aberrant, qu’eux-mêmes, a posteriori, ne comprennent pas. Sa caméra, pudique, laisse la parole couler, s’écouler, pourrait-on dire : le père évoque, trente ans après, la culpabilité qui le hante encore, parce qu’il a aidé Clotilde à faire ce qui lui a coûté la vie. Il dit son chagrin, sa propre incrédulité devant la mort de son épouse, sa peur de blesser les enfants et son illusoire espérance de les protéger de la douleur par un mensonge. Les témoignages, les réticences de certaines des personnes interrogées permettent en même temps de prendre la mesure du tabou écrasant que représentait à l’époque l’avortement. Joëlle Kauffmann, alors jeune médecin, raconte les soins mal dispensés, ou trop tard, le véritable gâchis humain dont Clotilde a été, en réalité, l’une des victimes. Mais pour une fois, cette victime n’est pas une ombre grise, au souvenir effacé par l’anonymat : elle possède un nom, un visage, un corps, qu’elle a d’ailleurs superbement peint.

    Et au fur et à mesure que le film avance émerge avec une troublante réalité la figure d’une femme dont la joie de vivre, la sensualité, l’amour qu’elle portait à son mari et à ses enfants éclate dans les croquis et les toiles, enfin montrées. Et c’est parce qu’elle voulait continuer à peindre, plus que tout, qu’elle a refusé une troisième grossesse qui l’aurait obligée à renoncer à son art. En filmant ses tableaux et les préparatifs de l’exposition dont ils vont faire l’objet, Mariana Otero redonne vie à une mère mais aussi à une artiste, dont on peut mesurer tout le talent. Et en voyant le visage d’Isabel, entourée de sa sœur et son père, s’illuminer devant les toiles, on a le sentiment que les fils du secret, dénoués avec une extrême douceur, autorisent enfin à la morte et aux vivants des retrouvailles si longtemps différées.

















Mariana Otero, Histoire d’un secret, DVD, Blaqout, 2004.





© Hélène Gestern / La Faute à Rousseau (2004)




 
sommaire.html
Ecritures_amies.html
sommaire.html
LG27_Paroles_poilus.html