Paroles prisonnières

 

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    Raymond Depardon prolonge avec Paroles Prisonnières l’entreprise initiée au cinéma avec Délits flagrants et 10e chambre, instants d’audience. Ces films donnent la parole à des prévenus, dont certains comparaissent devant le tribunal correctionnel et ont accepté de livrer leur histoire à la caméra. Dans la préface de son livre, Depardon explique la genèse de ces chroniques de la justice ordinaire, qui démarrent avec un reportage réalisé en 1980 dans un commissariat de quartier. À cette occasion, le cinéaste doit inventer une nouvelle manière de regarder ces situations, et même de les éprouver : « J’étais avec les policiers, j’étais arrivé avec eux, et puis soudain je me décalais : j’étais entre eux et les victimes ». Ce décalage est pour beaucoup dans le caractère unique de l’œuvre qui, sans prétendre à aucune objectivité — le simple fait de montrer les situations est un engagement — ne prend parti ni pour les prévenus, ni pour l’institution judiciaire.
















    Au-delà du délit, Depardon raconte l’histoire individuelle, familiale, psychologique, de ceux qui l’ont commis : de la jalousie obsessionnelle au trafic de drogue, l’essentiel se joue sur fond de misère ordinaire. Les magistrats, les avocats, essaient malgré le manque de temps de comprendre l’enchaînement des faits ; derrière les mensonges et les négations, les dialogues laissent entrevoir un quotidien qui ressemble la plupart du temps à une impasse : « Je suis à l’ANPE », « L’Algérie pour moi c’est l’étranger ». En fixant grâce au livre des fragments d’échanges, des photos de maisons d’arrêt, de salles d’audience, Depardon rappelle que chaque prévenu est un être humain pris dans un tissu de vie, plus ou moins inextricable, et que la frontière entre normalité et délinquance est frêle. Paroles prisonnières, à ce titre, est un excellent contrepoids au flot de reportages simplistes et manichéens sur le sujet ; un exercice de dignité aussi, qui place des anonymes « à hauteur d’auteur », parce que leur parole aussi mérite d’être entendue.



Raymond Depardon, Paroles prisonnières (textes et photos), Seuil, 2004, 80 p.

Délits flagrants, DVD, 1994, 109’, Arte Vidéo, 2004.

10e chambre, instants d’audience, DV, 2003, Arte Vidéo, 2005.






© Hélène Gestern / La Faute à Rousseau (2004)




 
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