Elizabeth Taylor

Le spectacle de la beauté ne peut être innocent. Photo d’Elizabeth Taylor, trente ans peut-être, le visage appuyé sur sa main, un peu nonchalante, un peu cynique. Elle porte un pull vert, sa mèche caresse l’œil droit, le voile légèrement, faisant ressortir l’éclat de l’autre. Celui-ci s’étire, entre vert-bleu et gris, en amande, comme un œil de chat. La bouche peinte ne sourit pas. La moue est à la fois terriblement séduisante est un rien cruelle, comme si le regard était hanté par un infime et intime désabusement. Sur ces photographies, Elizabeth Taylor est d’une beauté presque douloureuse, intemporelle.

Des décennies plus tard, en 1997, dans une chambre de Mount Cedar Sinaï, où elle a accepté de recevoir un photographe de Life qu’elle a choisi, il ne reste de cette élégance parfaite que les yeux, immenses, provocants et d’autant plus spectaculaires qu’ils se détachent dans un visage bouffi, dénaturé par l’alcool et la maladie. Quelques cheveux courts et hirsutes en cours de repousse sur un crâne qui a été fraîchement rasé rappellent qu’elle vient d’être opérée d’une tumeur au cerveau. On songe au courage qu’il a dû falloir pour mettre aux enchères du regard l’aveu de cette faillite physique, mais aussi à la manière dont l’esprit et l’intelligence du regard ont leur mot à dire sur la matière. Car le déroulé de l’image, que l’on aurait pu imaginer comme une chute pathétique dans la laideur, orchestre au contraire une scène des plus étonnantes. Assise sur son lit, trépanée, Elizabeth Taylor, qui a convoqué le photographe et réglé la mise en scène, joue avec ses deux chiens. Et ce qui transperce la photographie n’est pas la ruine de sa beauté, mais son sourire, total, lumineux : comme si d’une image l’autre, il avait mis trente ans et quelques aléas à se développer.

© Hélène Gestern / Editions Arléa – 2017

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